Survivances

Pays-visage_2014_Crayon sur papier Canson_105 x 114 cm

Pays-visage. crayon sur papier. 105 x 114 cm. 2014

Géographie d'une blessure_2014_Crayon sur papier Canson

Géographie d'une blessure. graphite sur papier. 105x75 cm. 2014

Télékoh al agiel_2014_Crayon sur papier Canson_240 x 150 cm

Between generations. crayon sur papier. 230x170cm. 2014

Nidhal chamekh

Excursus. crayon sur papier. 98x148 cm. 2014

Arrive-t-on jamais à se retrouver en se souvenant ? Revenons-nous à nous-mêmes quand les fantômes de nos passés resurgissent ? Qui se souvient en chacun de nous ? Et la mémoire revient à qui en définitif ? A ces questions abyssales et ô combien insistantes en cette époque de l’histoire, le projet Survivances des trois artistes Nidhal Chamekh, Fakhri El Ghezal, et Atef Maatallah constitue un lieu exemplaire de déploiement (donc unique et général en même temps).

Il s’agit de projeter dans un champ monté, presque une bande filmique, des résurgences de mémoires personnelles. Des souvenir-écran peut-être. Par le trait du dessin ou l’inscription photographique, des fragments de vie font retour non pour assurer le fantasme d’une identité qui se ressasse dans l’illusion de sa subsistance. Mais bien pour s’insérer dans un rapport questionnant et inquiet. L’abyssale étrangeté du retour mémoriel contamine le solipsisme du biographique et l’ouvre à son secret fondateur. L’intime s’articule ici au politique. Comme si par des renvois entre mémoires apparemment personnelles, ce qui s’ouvre dans ce projet est une béance au cœur de tout processus d’identification. Un excès absolument irréductible qui hante toute subjectivité, c’est-à-dire toute mémoire propre.

Aucune narration ou récit ne peuvent être donnés ici. Mais pourtant les souvenirs s’interpellent les uns les autres rentrent en correspondance ou en tension. Les images s’offrent au regard en accueillant des projections. Elles se gardent par le spectateur/voyeur qui sera toujours déjà un jouisseur de la vie des autres. N’est-ce pas peut-être cela l’essence ء       de toute mémoire : une tentative de voyeurisme d’une vie passée ? Donc une sorte de deuil impossible à achever ? Une blessure à jamais ouverte comme une fente à partir de laquelle seulement un regard est possible ? Le trait du dessin (N. Chamekh et A. Maatallah) et l’écriture photographique (F. El Ghezal) se conjuguent pour donner à voir cet inachèvement du regard. L’impossible appropriation souveraine de l’expérience « vécue ». Et là la dimension politique de l’œuvre apparaît comme un travail de déconstruction qui mine tout le processus de retour à soi de l’identification (communautaire, populaire, étatique…). Ce processus passe nécessairement par l’exclusion de l’autre qui au fond constitue cette même identité. Le même ne se ferme sur soi que par l’exclusion fantasmatique de l’autre qui le fonde. En traçant ses limites et ses frontières. Mais c’est oublier justement que la trace se dédouble à l’origine, se répète, se dissémine de manière toujours incontrôlée. Ou au-delà de toute contrainte psychique ou politique. De même, le fantôme n’existe qu’en retournant. La mémoire ne fait que revenir. Mais en revenant elle nous échappe du même coup. En revenant, elle ne coïncide jamais avec le destinataire idéal que nous fantasmons être. La mémoire est en tant que trace impossible à appartenir à une intention ou volonté souveraine. Elle nous rend possibles en tant que sujets qui regardent. Mais sujets ouverts, capables de voir à travers nos blessures. Survivants comme l’œuvre d’art. C’est-à-dire projetés au-delà de notre présence à une transformation continue.

Survivances, pose la question de son titre arabe («Ne se souviennent-ils pas ?») en ouvrant chaque regard à sa propre blessure. Pour faire signe vers un autre lieu du regard. Pas celui que nous croyons de manière un peu rapide : les yeux. Mais peut-être cet autre médium, ou dispositif : un trait, une trace, une larme.

Arafat Sadallah